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Critique du Quotidien du Cinéma

N.W.A - Straight Outta Compton

N'en déplaise aux éditorialistes en manque de polémiques éculées et d'hommes politiques toujours prompts à racler les fonds de cuve de la démagogie putassière, le hip-hop est bel et bien sur le point de rentrer définitivement dans les mœurs, plus de trente ans après son explosion. La preuve évidente ? Ses artistes emblématiques ont désormais le droit aux honneurs du biopic de studios, soit l'étape terminale de la reconnaissance institutionnelle, attribuée selon ce principe implicite sur lequel le genre fonde sa raison d'être depuis sa création : on n'extrait jamais du romanesque qu'au sein des destins qui ont marqué leur époque. Et dans cette catégorie, l'histoire de "NWA" (pour Niggaz With Attitude), soit la formation qui sortit le mouvement de sa tradition contestataire revendicative pour le faire jouer sur le terrain pop de son époque à travers son itération la plus transgressive, faisait office de prototype. Les sujets renvoyant à l'Amérique reaganienne le reflet déformé de ses mantras anthropophages ayant souvent fait par le passé le lit des grands cinéastes, le récit de l'ascension du groupe  précurseur dans la mise en scène d'un hédonisme débridé, trophée éphémère d'une ultra-violence rejetant paradoxalement les institutions sur lesquelles il prospérait, ne manquait pas d'interpeller l'amateur d'épopée subversive qui sommeille chez tout spectateur attentif, fan de rap ou non.

Paradoxalement, de tous les angles sous lesquels il était possible de retracer la trajectoire de l'un des groupes ayant le plus façonné le visage de la culture populaire contemporaine, "NWA-Straight Outta Compton" choisit l'un des moins évidents. En tous cas le plus potentiellement déceptif eu égard aux attentes conditionnées par un genre érigé sur les histoires de rise and fall hyperboliques, les personnalités hautes en couleurs triomphant de l'adversité, et les mises en perspective constantes de la petite et la grande histoires. Il y avait pourtant de quoi  faire, surtout avec les moguls Dr Dre et Ice Cube à la barre, membres historiques du groupes, ici producteurs, qui avaient toutes les cartes en main pour piloter un exercice hagiographique calibré, surtout au sein d'un cadre  aussi propice à l'emphase complaisante. Le cursus du réalisateur engagé (F. Gary Gray yes-man derrière de purs produits de studios tels que "Braquage à l'Italienne", "Le Négociateur" ou le catastrophique "Be Cool") semblait confirmer les craintes suscitées par la mainmise des deux artistes sur le projet (Ice Cube allant jusqu'à caser son propre fils pour jouer son rôle !), d'autant plus quand on connaît l'historique professionnel liant les trois hommes (surtout Cube, avec lequel Gray a tourné son premier film, le sympathique "Friday"). On s'était presque résigné à une œuvre d’auto congratulation en service commandé, qui tenterait d'éponger les excès du groupe et du courant musical qu'il incarne par un amas de bons sentiments hypocrites.

Étrangement, et c'est sans doute l'aspect le plus agréablement déroutant de "Straight Outta Compton", c'est à un biopic en mode mineur que s'est attelé F. Gary Gray. A savoir que plutôt d'embrasser les accents les plus outranciers de la success-story conventionnelle, c'est avant tout une histoire d'amitié que raconte le réalisateur. Celle qui unit Eric, André et O'Shea, trois jeunes issus des quartiers les plus dangereux de Los Angeles, qui vont s'affranchir des tabous de leur époque pour enfanter une révolution musicale appelée à transfigurer le paysage culturel, et essayent tant bien que mal de conserver leur liens mis à l'épreuve par les affres de la célébrité. « More money more problems » chantait Notorious BIG, et c'est davantage à cet aspect intimiste que s’intéresse le film, reléguant à la quasi-périphérie (parfois un peu trop) les passages obligés du genre, traités comme autant d'étapes jalonnant le parcours de ses personnages, sans pour autant constituer les points charnières de la narration (voir notamment le traitement de la relation tumultueuse du groupe avec les médias, traités en une poignée d'épisodes réjouissants même si fugitifs).

Risqué sur le papier, ce parti-pris porte cependant ses fruits à l'écran, dans la mesure où il permet d'extérioriser le traitement des protagonistes  de la mythologie thug et des clichés iconographiques qui lui sont associés, et qui auraient pu conditionner le traitement visuel de l'ensemble si celui-ci avait emprunté une voix plus balisée (matérialisme débridé, pose gangsta à tous les étages et misogynie plus ou moins latente, soit la recette du clip de rap moyen). A l'inverse, l'humilité qui se dégage du résultat ramène le matériau à des racines pas forcément décelables aux premiers abords : le « ghetto-movie», genre en vogue dans les années 90 et lui-même tributaire de la révolution culturelle générée par NWA, dont les films "Boyz In The Hood" et "Menace II Society" constituent les pierres angulaires (Ice Cube avait d'ailleurs démarré sa carrière d'acteur dans le premier). De fait, peu importe que le film déplace les lignes de l'univers dans lequel il est traditionnellement ancré, "Straight Outta Compton" compose la résurgence du genre en en ce qu'il ne fait que conter la quête d'identité (thème de l'adolescence entre tous) de trois jeunes confrontant leurs aspirations aux sirènes délétère tapissant leur environnement.Constat entériné par le choix de survoler certains pans du récit (dont l'inévitable ascension sociale des membres du groupe, réglée en un effet de style et quelques plans) et le traitement de certains personnages, le redoutable Suge Knight se muant ainsi en véritable figure de thriller, truand se lovant dans l'ombre et attendant son heure pour planter ses crocs.

Dans la perspective de coller à ses personnages, le film se fait un point d'honneur à aménager un arc narratif  bien spécifique à ses héros (le chemin vers  de l'affirmation pour Dre, la radicalité d'Ice Cube, le parfum de tragédie guettant le destin d'Easy E). Loin d'un film de papys embourgeoisés soucieux de rajouter une pierre à leur édifice en chroniquant au détour de codes impersonnels des années avec lesquelles ils n'ont plus de lien, "Straight Outta Compton" vit ainsi au rythme insouciant et frénétique d'une jeunesse retrouvée, offrant au spectateur un instantané de l'époque plutôt qu'une description empirique d'une culture en pleine émergence. Sans doute la meilleure façon d'immerger le spectateur aux côtés de ceux qui l'ont vécu et de rendre justice à une musique animée de l'urgence du moment, parfaitement retranscrite par une mise en scène trouvant le juste équilibre entre sophistication esthétique (photo, costumes, décors : tout est au diapason) et caméra sur la brèche, attentive à l'effervescence ambiante, qu'elle soit musicale (les sessions d'enregistrements, anthologiques), sociale (les face-à-face tendus avec la police), criminelle (toute la sous-intrigue liée à Suge Knight). C'est sur ce même principe que sont érigées les saillies les plus légendaires du groupe, notamment l'écriture du morceau « Fuck the police », directement réactive à une énième humiliation par les forces de l'ordre, où la reprise mémorable du morceau lors d'un concert, devant une foule chauffée à blanc et des flics qui n'attendent que le premier débordement pour intervenir.  

En refusant de définir ses personnages à l'aune de leur histoire sanctifiée dans la controverse, "Straight Outta Compton" sacrifie l'épique au profit de l'intime, même si certains attendus répondant présent font indéniablement leur petit effet. Et si l'influence de Dr Dre et d'Ice Cube sur le projet se fait sentir, elle s'exerce dans une dimension que l'on n'attendait pas, comme si la direction empruntée reflétait le recul nostalgique et emprunt de tendresse qu'ils portent sur ces années où ils ont changé le cours de l'histoire sans vraiment y faire attention. C'est cette innocence juvénile imprégnant le projet qui emporte, et peu importe qu'au cours du processus, le scénario fasse parfois l'impasse sur le caractère le plus subversif de son sujet, y compris en passant sous silence les éléments les moins reluisants de l'histoire du groupe.

Plus impétueux que transgressif, "Straight Outta Compton" s'impose néanmoins comme le témoignage vibrant d'une époque, et à la tentation de la muséification racoleuse, fait le pari d'une dramaturgie de l'impulsion pour coller à une époque dont il ravive une mémoire alternative. Raconter l'histoire hors des clous qu'ils avaient eux-même édifiés : là n'est pas le moindre mérite du film de F. Gary Gray.

Auteur : Guillaume Meral
Publié le 09/09/2015 sur Le Quotidien du cinéma

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Ecrit par pretty31 
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